AG 2023 | Table-ronde partenariale : accélérer les transitions vers un nouveau modèle de développement
Une table-ronde partenariale a été proposée lors de l’Assemblée Générale de BRUDED le 12 mai 2023 à Rostrenen (22), visant à croiser les regards sur les freins & leviers d’actions à mobiliser pour accélérer les transitions vers un nouveau modèle de développement.
Participants :
- Christian Coail, Président du Département des Côtes d’Armor,
- Laurence Fortin, Vice-présidente Territoires, économie et habitat de la Région Bretagne,
- Eric Fisse, Directeur de la DREAL
Les échanges, animés par Ivana Potelon, codirectrice de BRUDED, ont été l’occasion de témoigner d’enjeux partagés et ont introduits des ateliers de partage d’expériences entre collectivités et partenaires sur trois thèmes majeurs : l’eau, l’énergie, et le foncier. Voici une synthèse des propos tenus en table-ronde.
Introduction : nous faisons collectivement face à une raréfaction des ressources, une accélération du changement climatique, une chute du vivant, et les rapports scientifiques alarmants s’accumulent. En parallèle, l’INSEE projette + 400 000 habitants en Bretagne d’ici 2040. La question de savoir où ils vont être accueillis et logés se pose. Plus largement, comment concilier la nécessaire sobriété avec l’attractivité bretonne ?
Eric Fisse : Nous faisons collectivement face à un défi important, systémique. On doit s’approprier ces enjeux et la sobriété vaut pour le foncier, l’eau, l’énergie, mais aussi pour la défense de la biodiversité, qui subit un début d’effondrement inquiétant. L’effort de sobriété sur le foncier répond aussi à cet enjeu de biodiversité. Nous sommes sur des sujets qui sont très difficiles à traiter.
Le changement climatique doit être abordé sous l’angle de l’interrogation de nos modes de développement et de diminution de notre impact : comment on concilie nos modes d’habiter, nos modes de développement économiques, nos mobilités, la cohésions sociale avec les défis que l’on connait. Mais l’on doit aussi aborder les choses sous l’angle de l’adaptation au changement climatique dont l’appropriation est récente. C’est aussi l’objet de la loi climat et résilience. »
Même si chaque fois c’est éprouvant, les crises nous aident à nous questionner et à accélérer les transitions. En tant que DREAL, je contribue au portage de ces enjeux, avec modestie. On ne peut qu’être une partie de la solution. Je salue ce qui se manifeste aujourd’hui, dans cette intelligence collective que constitue le réseau BRUDED.
Eric Fisse, Directeur de la DREAL Bretagne
Vous êtes des communes très engagées qui se sont posées des questions avant les autres et qui les partagez. Je pense que ce n’est que par la dynamique collective que l’on peut avancer en impliquant le monde économique, les collectivités, les associations….
Parmi les enjeux que se donne la DREAL, je peux citer :
- Participer au dialogue collectif : on vraiment besoin d’être plus pertinent dans le dialogue avec le territoire
- Être exemplaires dans nos propres actions
- Animer nos politiques, engager des travaux d’amélioration de la connaissance
- Apporter des solutions de financements pérennes : les députés vont avoir à se positionner prochainement sur un projet de loi de finances qui pérennisera le fonds vert
Ivana Potelon : La Région Bretagne a souhaité porter une vision partagée de l’action publique pour faire émerger un grand projet de territoire en faveur des transitions. Cette vision a trouvé une traduction concrète dans le SRADDET, Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, qui explicite le projet de territoire pour 2040 : celui-ci fixe notamment un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à l’échelle 2040. Alors qu’on a consommé 18 000 ha en 10 ans, comment passer au zéro consommation nette ? Comment la région s’y prend pour bâtir un projet qui traduise les particularités des territoires ?
Laurence Fortin : L’objet même de la Breizh cop que nous avons engagée en 2017, c’était de se demander ‘Qu’est ce que l’on veut faire de la Bretagne à l’horizon 2040’. Cela a fait l’objet d’un travail collectif, participatif. Avec l’ensemble des acteurs économiques, associatifs et les collectivités de Bretagne, on a dessiné le chemin que nous voulions construire. Il s’agissait aussi de se dire que c’était à chacun de prendre ses responsabilités sur la manière de le mettre en œuvre. Bien sûr il y a la partie règlementaire du SRADDET avec notamment des mesures de protection du foncier, mais il y avait aussi une partie invitant chacun à agir : on construit collectivement un projet ensemble et après, chacun a réinterrogé ses dispositifs. C’est ce qui a été fait au Conseil régional de Bretagne où la politique territoriale a été complètement réinterrogée et les dispositifs modifiés, avec l’objectif que chaque breton et bretonne vive bien son territoire, quel que soit le lieu où il habite. Parmi les principes qui ont accompagné notre pensée, il y avait les deux suivants :
- Chaque territoire a des besoins différents et suppose donc un accompagnement différent: Un habitant du centre Bretagne n’a pas les mêmes besoins qu’un habitant de Rennes Métropole. Les recettes qui fonctionnent sur un territoire ne peuvent pas être dupliquées de manière uniforme sur n’importe quel autre territoire.
- On ne peut engager le changement que collectivement. Quand les choses se décrètent, si ce n’est pas souhaité par tous, on n’y arrive pas dans la mise en œuvre.
Concernant le ZAN, l’approche qui a été intégrée dans le SRADDET 1 à l’horizon 2040 s’inscrit dans celle de la Loi Climat et Résilience à l’horizon 2050 : dans ce 1er SRADDET, l’ambition était d’arrêter de programmer des terrains à urbaniser à l’horizon 2040, pour donc une concrétisation sur le terrain d’ici à 2050.
Le SRADDET 2 (révision en cours) a pour vocation de nous mettre en conformité avec la loi, et même si certains ne veulent pas que l’on s’inscrive dans cette dynamique, j’ai une conviction personnelle :
La Bretagne est la première région consommatrice de foncier pour logement et dans le même temps la première région agricole de France ; dans ce contexte la question de la souveraineté alimentaire est posée de manière très forte.
Laurence Fortin, Vice-présidente de la Région Bretagne
Durant les dernières décennies on a développé un modèle très périurbain autour de villes moyennes. On s’est développés sur un modèle de maison pavillonnaire avec 300m² de jardin dans des lotissements, avec une très forte dépendance à la voiture. Il faut être conscients que chaque fois qu’on prend du foncier pour construire, on détruit l’existant, ce qui est terrible pour la biodiversité. On ne peut pas continuer sur ce modèle-là.
Avec la loi Climat et résilience, les compteurs tournent : nous avons une responsabilité vis-à-vis des bretons. On ne pourra consommer que 9 000 ha d’ici 2031 et ce depuis octobre 2021. Il tient de la responsabilité du conseil régional de s’organiser pour que chaque territoire puisse se donner les moyens de respecter la loi pour mettre à jour les PLU.
Ivana Potelon : Quelle est votre méthode justement, pour mettre en œuvre la loi Climat et résilience à l’échelle de la Région Bretagne ?
Laurence Fortin : Cela se fera impérativement de façon collective ; à ce titre nous avons réuni l’ensemble des SCOT sur 13 journées entières pour construire un projet de développement de la Bretagne. Les propositions sont désormais connues. Elles ont été partagées avec les intercommunalités.
Ivana Potelon : Christian Coail, vous présidez le conseil départemental des Côtes d’Armor. Les Départements portent la compétence sociale dans ce contexte d’urgence climatique. Comment à votre niveau, conciliez-vous les enjeux de fin du mois avec ceux de fin du monde ?
Christian Coail : Je vais m’attacher à parler du département, même si ma vision s’inscrit aussi dans celle de la région. La brutalité de la mise en place de cette mesure du zéro artificialisation nette a été fortement ressentie sur notre territoire. Nous sommes ici dans un département rural, où nous n’avons pas de métropole, assez différent de l’Ille et Vilaine ou du Finistère. En milieu rural, vous avez une consommation foncière supérieure aux espaces urbains. L’inconvénient lié à ce mode de vie, c’est que l’on consomme plus de routes et que l’imperméabilisation est donc plus importante. En parallèle, les Côtes d’Armor sont le 2e département alimentaire français, et disposent de quelques ressources dont profitent les voisins, comme l’eau.
Les Côtes d’Armor alimentent ainsi le bassin rennais pour 1/3 de sa consommation d’eau potable. Par ailleurs on développe chez nous l’éolien plus qu’ailleurs. Nous sommes donc en situation de concurrence entre territoires.
Christian Coail, Président du Département des Côtes d’Armor
Dans le bassin rennais, comme on consomme moins de foncier, on estime qu’on a le droit de continuer à se développer. Cette dynamique ne fait qu’accélérer les écarts entre urbain et rural. On est aujourd’hui à la croisée des chemins et il faut s’interroger sur le modèle développement que l’on veut. Je plaide pour un rééquilibrage des territoires là où Nathalie Appéré plaide pour le développement de la métropole rennaise.
A l’échelon du département nous avons des actions possibles. Il faut mettre de la politique dans tout ça, nous devons revoir notre manière de faire. A ce titre le département a pris une décision forte en abandonnant le contournement de Saint-Brieuc qui supposait de consommer 26 ha de terre. Le tracé initial du contournement de Saint-Brieuc consommait du foncier, sans compter les montants considérables à investir. Nous avons donc fait le choix de revoir le projet pour étudier un nouveau tracé qui réutilise les infrastructures existantes. Chacun s’accorde à dire qu’il y a des enjeux conséquents et exponentiels en matière de climat, de foncier, d’eau, de biodiversité mais il y a encore des communes qui disent « oui il y a des enjeux mais terminez le contournement sud » ; ce n’est plus possible.
On souhaite que 50% des montants alloués aux communes aillent vers la transition écologique.
Christian Coail, Président du Département des Côtes d’Armor
On prend aussi en compte la capacité de stockage de CO2 dans les communes pour la répartition de nos aides.
Au sein des collèges, nous travaillons à végétaliser les cours, comme par exemple à Plouaret. Pour la construction de nouveaux collèges, on n’est plus sur de l’étalement, on construit des bâtiments compacts, avec des matériaux biosourcés, des panneaux photovoltaïques, des récupérateurs d’eau de pluie. Les nouveaux bâtiments sont quasi autonomes, cela témoigne d’une forte évolution ! Le prochain plan triennal d’investissement proposera de nouvelles orientations axées sur la rénovation thermique plus que la construction.
Ivana Potelon : Pour les communes et intercommunalités, les enjeux actuels impliquent une nouvelle façon de porter les projets, comment l’Etat les soutient-il en ce sens ?
Eric Fisse : nous devons apporter des réponses nouvelles. Je salue notamment l’EPF présent aujourd’hui, qui agit auprès des collectivités sur ces sujets de maitrise foncière. L’Etat porte depuis longtemps des actions pour favoriser le renouvellement urbain, via le Fond Vert, le Fond friche, ainsi que des appels à projets pour permettre à ces opérations coûteuses d’être équilibrées, et pour reconstruire plutôt que de s’étendre.
La renaturation est aussi une réponse, c’est un des volets du Fond Vert qui est peu mobilisé par les collectivités, n’hésitez pas à solliciter les DDTM pour vous faire accompagner !
Eric Fisse, directeur de la DREAL Bretagne
Nous avons aussi une ressource qui est intéressante pour les collectivités : les architectes conseils qui sont mis à disposition par l’Etat 2 à 3 jours par mois. Ils apportent un regard très extérieur et expert aux élus pour repenser l’aménagement de leur commune.
Ivana Potelon : on note bien l’enjeu de la relocalisation, du développement de circuits courts, de la nécessité de faire avec l’existant. Cela se traduit aussi par le soutien du Département à une expérimentation de recyclage des eau usées avec Loudéac Communauté Bretagne Centre. Concernant l’énergie, le défi de la sobriété est aussi important pour la Bretagne, qui représente 5% des émissions de gaz à effet de serre nationales. Pour soutenir les collectivités dans leurs projets, cela suppose un soutien aux investissements, mais aussi un appui en ingénierie. En Côtes d’Armor, vous avez créé une Société Publique Locale dédiée, pouvez vous nous en dire plus ?
Christian Coail : en effet, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas l’ingénierie suffisante pour faire avancer des projets d’aires de covoiturage, d’ombrières photovoltaïques dans les collèges, d’équipement de stationnements en prises électriques… Nous nous sommes donc rapprochés du syndicat départemental de l’énergie et avons créé une structure publique, la SPLET, pour regrouper le SDE et les intercommunalités. Elle vient d’être créée le mois dernier. Nous avons déjà faire un certain nombre de réalisations notamment des aires de covoiturage.
Ivana Potelon : on entend bien que les leviers pour passer à l’action relèvent des coopérations, du soutien à l’ingénierie ainsi qu’à l’investissement… En termes de mobilisation collective, avez-vous un message à faire passer aux élus présents, qui sont au quotidien confrontés à des défis multiples ? Comment déployer ce nouveau modèle de développement dans les territoires, relocaliser, porter des projets durables et frugaux ?
Laurence Fortin : Vous êtes ici militants de la cause, et par conséquents prêts à réinterroger vos modèles. Cela suppose des accompagnements qui apportent des solutions concrètse, je pense notamment à l’EPF. En 2010 quand la question s’est posée de créer l’EPF de Bretagne, les débats en session régionale ont été fournis, avec de nombreux élus opposés à la création d’une structure supplémentaire, dont ils estimaient qu’on n’avait pas besoin. Or on avait déjà des besoins, qui se sont démultipliés depuis. Il nous faut nous doter d’outils qui nous permettent de nous réinventer, et d’avoir la capacité à regarder plus loin. Il s’agit aussi d’accepter cette discussion, de se parler, s’écouter, comprendre les difficultés des uns et des autres.
On met autant d’hectares en Pays Centre Ouest Bretagne pour accueillir 2100 habitants, que sur la métropole rennaise pour en accueillir 50 000, ce n’est pas rien. Il s’agit d’être courageux et cohérents ; d’avoir conscience collectivement qu’il faut y aller, il faut protéger le foncier.
Laurence Fortin, Vice-présidente de la Région Bretagne
On parle de relocalisation, cela veut dire d’abord des matériaux locaux ; la Région vous accompagne seulement si vous rentrez dans ce cadre. On parle de low tech et de réutilisation, les collectivités sont un lieu d’expérimentation pour cela.
Propos recueillis le 12 mai 2023
Rédigé en mai 2023
Thématique : Aménagement, urbanisme et habitat, Eau, Environnement et biodiversité, Outils de planification, Énergie